Télétravail : lettre ouverte de la CGT des Départementaux au président du CD 84

Monsieur le Président,

Dans votre courrier daté du 13 juillet 2020 vous nous demandez de vous transmettre nos observations sur le télétravail en période de crise et nos propositions pour la mise en œuvre pérenne de ces dispositions dans le cadre défini par l’Etat.

Lors d’une crise sanitaire telle que celle que nous sommes en train de vivre, le télétravail nous paraît être un outil important pour protéger les agents et assurer la continuité du service public, mais la difficile expérience que nous avons récemment vécue nous inspire effectivement, des observations et des propositions d’aménagements préalables à sa pérennisation. Certaines sont de nature très générale, d’autres nous amènent à mettre en cause la Charte du télétravail de notre collectivité, d’autres enfin sont le produit du vécu quotidien des agents.

Au plan général, la CGT souhaite rappeler et réaffirmer que le télétravail doit être basé sur le volontariat et qu’en référence au Discours sur la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie en 1574, il ne doit pas devenir un outil et une source d’asservissement au travail des agents. Il doit aussi bien sûr, se déployer en conformité avec plusieurs législations :

  • En respectant l’équité de traitement : mêmes positions administratives, mêmes équipements sans éclatement des garanties collectives et avec la garantie d’accès à la même qualité de couverture numérique du territoire (développement des infrastructures, résorption des zones blanches par déploiement de la fibre et moratoire pour l’abandon complet de la 5G).
  • En permettant à l’agent de travailler en sécurité et de ne pas être mis à défaut au vu des obligations de l’employeur vis-à-vis du Règlement général sur la protection des données (sécurité des données personnelles et de celle de l’institution) avec des outils sécurisés par l’employeur (VPN, logiciels, applications et progiciels de la collectivité respectant le RGPD…).
  • Dans le respect du Code du travail et du décret du 5 mai 2020 modifiant le décret du 11 février 2016. A savoir donc que le travail ne doit rien coûter à l’agent : fourniture par l’employeur, y compris pour les autorisations temporaires de télétravail, de tous les équipements professionnels devant être adaptés (PC, téléphone, VPN, voire imprimante et scanner en fonction des missions…), de tous les logiciels et de leurs mises à jour, de tous les consommables et les frais de connexion.
  • Dans le respect des règles d’ergonomie et de qualité des équipements des postes de travail (chaise de bureau…), des organisations et usages numériques du travail. Etablissement d’une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques si organisation du télétravail au domicile ou dans un autre lieu privé.
  • En protégeant le télétravailleur et notamment sa vie privée : décomptes précis du temps de télétravail qui doivent tous être comptabilisés dans le temps de travail, prise en compte des temps de déplacement potentiels vers les centres de télétravail, des temps de travail « gris » (à la pause déjeuner, dans le train…), reconnaissance des accidents sur les parcours vers les lieux tiers ou sur le lieu de télétravail comme des accidents de travail, facilitation du télétravail dans des lieux tiers (plutôt qu’à domicile), facilitation du droit à la formation professionnelle…
  • En créant un droit opposable à la déconnexion, respectant le temps de travail et sa séparation de la vie privée, des plages horaires de travail fixées en concertation préalable avec l’agent, les temps de repos et la limitation des heures de travail par un contrôle strict des heures de connexion dans la journée.
  • En quantifiant le coût écologique du télétravail dans le schéma de développement durable de la collectivité et en le présentant dans le cadre du bilan social.

Pour ce qui est de nos remarques sur la Charte expérimentale du télétravail de notre collectivité (que le syndicat CGT avait rejetée) :

  • Nécessité de définir les activités « télétravaillables » pour chaque métier (ce n’est pas par le métier que doit être défini l’accès au télétravail). D’ailleurs, lors de la période de télétravail « forcé » pendant le confinement, il a été possible pour plusieurs métiers d’exercer certaines activités et missions en télétravail. Dans la Charte expérimentale, il est question d’activités éligibles au télétravail, puis de métiers éligibles au télétravail. Certains métiers paraissent en être exclus d’emblée alors qu’ils peuvent avoir des activités qui pourraient l’être.
  • Le lien de subordination avec le chef de service qui peut rappeler à tout moment l’agent sur son poste (comment concilier l’organisation dans la vie familiale sur l’usage de la voiture par exemple ?) : en effet, ce lien de subordination est très présent dans notre collectivité. Comment donc appréhender la notion de volontariat et de faculté de rétractation ?
  • L’individualisation de la relation de travail et l’isolement dans le travail doivent être des points de vigilance : il est donc important de ne pas déroger à la limitation de 3 jours par semaine maximum.
  • Pas de prise en compte de l’abonnement internet, ni de l’assurance, ni de la consommation d’électricité, ni de celle d’eau, des coûts de téléphonie (numéros surtaxés) : c’est en deçà du décret de 2016 modifié.
  • Le bilan de l’expérimentation au Bureau Parcours individuels insertion du SIEJ montre qu’une des conditions favorables à la réussite est la gestion globale par le télétravailleur (pas d’interdépendance dans le traitement d’un dossier) : il y a donc nécessité pour chaque mission de lister et de séquencer les tâches en appui de l’expertise des agents.

Enfin, l’expérience du télétravail ou travail à distance lors du confinement appelle d’autres remarques :

  • Une réflexion fine sur la pratique du travail social et médico-social en télétravail doit aussi être menée avec les professionnels. Interpellés dans la sphère personnelle que constitue le domicile sur des situations parfois angoissantes, perturbantes, les agents peuvent rapidement le ressentir envahi par des préoccupations professionnelles et il perd alors sa fonction de décompression, de retour à l’apaisement nécessaire à la poursuite de la qualité des interventions auprès des usagers. Pendant le confinement, le domicile était partagé avec les proches qui sont en position de pouvoir entendre le contenu des échanges professionnels : la question du secret professionnel doit avoir une attention particulière. Face aux situations sociales complexes, le devenir du travail pluridisciplinaire, des échanges entre professionnels du social et du médico-social, des réunions doit être central et réfléchi ; la question de la contenance à apporter aux équipes doit être une préoccupation.
  • Des difficultés de travail sont apparues notamment pour les missions comptables, car l’ordinateur portable n’est pas programmé pour recevoir 3 logiciels (GFD seulement alors que besoin de GFI et d’Astre RH) ; de ce fait, le travail se complexifiait et des tâches s’ajoutaient pour les agents en présentiel. Des contraintes importantes se posaient avec l’ordinateur portable : capacité de mémoire insuffisante, impossibilité de brancher une clé USB, impossibilité de paramétrer en « dépannage » une imprimante personnelle ; pour la cartographie et la comptabilité, l’écran est trop petit… Dans certains services, il a été repéré l’absence d’outil pour les réunions techniques et d’équipe : pas d’installation du logiciel Teams. Cette absence d’outil sur certains sites du Pôle Solidarités pour maintenir des réunions en visioconférence a été particulièrement préjudiciable à la possibilité de pouvoir penser, réfléchir, transformer de façon groupale et collective.
    – La dématérialisation des supports de travail doit être généralisée au maximum (cf les difficultés rencontrées à la MDPH par exemple). Le bilan de l’expérimentation, page 11, met en avant cet élément comme une condition favorable à la réussite.
  • Dans certains services où la charge de travail est très forte, tels que les services territoriaux ASE de la DEF, celle-ci, déjà existante habituellement, a été même alourdie au niveau du collectif de travail par le télétravail. La présence du poste de travail à domicile a amené certains agents à s’engager dans une spirale de travail sans fin. Ainsi, pris par la peur de se voir submergés par le flux de courriels à traiter quotidiennement, ils ont été pris dans des cadences infernales, sans plus aucune limite de temps entre activité de travail et vie personnelle (très tôt le matin, tard le soir, week-ends, jours fériés, jours de congés). Le régime de télétravail a pu être pour eux une puissante source d’aliénation supplémentaire et de surtravail.

En conclusion nous insisterons sur le fait que le télétravail modifie notablement les conditions de travail et l’organisation du travail des personnels, au sens de l’article 45 du décret modifié 85-603 du 10/06/85, relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la Fonction publique territoriale. Par conséquent, le syndicat CGT, conformément à l’article 42 dudit décret, demande une étude d’impacts des réorganisations de travail (et notamment du télétravail) sur les conditions de travail des agents dans toutes les Directions, par un cabinet d’expertise agréé, avec un prisme particulier sur l’évaluation de la charge de travail pour chaque service en régime habituel de travail.

Restant à disposition, nous vous prions de croire, M. Le Président, à l’assurance de notre meilleure considération.

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