Comparaison n’est pas raison
Comme souvent, l’État utilise nos voisins européens pour faire passer ses réformes antisociales.
Loin de tirer le constat du mécontentement social pour remettre en question les priorités de sa politique économique, le gouvernement les pose comme un contexte inébranlable : la France serait donc championne des dépenses publiques. Il faut alors en finir avec son système de retraite, et graver dans une loi d’airain un nouveau dogme : faire passer sous la barre des 14 % du PIB le montant global des pensions. Pourquoi ? Nous n’en savons trop rien. Étions-nous si mal lotis quand les retraites représentaient 14 % du PIB ? Pas que nous sachions. Pourtant, il semblerait, d’après le gouvernement, que « l’effort » n’est désormais plus soutenable. Et pour le démontrer, il a un argument tout trouvé : la comparaison avec les autres pays européens. C’est bien connu : c’est toujours mieux ailleurs, ou pire ; c’est selon la position que l’on adopte après tout, et l’opportunité politique du moment.
Quel que soit le système qu’ils ont adopté, tous les pays européens sont confrontés à une fragilisation du financement des retraites (fragilisation qui doit essentiellement aux politiques économiques libérales et aux allègements de cotisations). Partout, des réformes ont été engagées, portant soit sur l’âge légal de cessation d’activité, soit sur la durée de cotisation, soit encore sur le mode de calcul des pensions. Au milieu de ces comparaisons européennes n’est cependant jamais abordée la seule question qui vaille : la qualité et le niveau de protection sociale pour les populations. Comparer uniquement les niveaux de dépense publique, vérifier que nous sommes au-dessus ou en dessous de la moyenne européenne, sans comparer les niveaux de services rendus, révèle à n’en pas douter la place que ces politiques réservent à l’humain.
Un des systèmes les plus efficaces du monde
À ce titre, le graphique ci-dessous est éclairant. Il rappelle que la France bénéficie d’un des systèmes les plus efficaces au monde, avec un taux de pauvreté des plus de 65 ans de 7,8 %, quand la Suède, qui a adopté un régime « par points », a un taux deux fois supérieur, à pratiquement 16 %. Un système efficace et pas plus coûteux que ceux de nos voisins ; voilà ce que le gouvernement entend détruire.
Et si nous imposions l’idée de comparer les niveaux de retraite, le bien-être des salariés, les externalités positives que génèrent les retraités pour l’économie ? Une autre voie est possible. C’est pourquoi la bataille des retraites est fondamentale et qu’elle ne saurait se réduire à ces manœuvres comptables dont le seul objectif est la réduction de la dépense publique. Non, il ne s’agit pas de dépenses, mais de droits, et au jeu de la comparaison, nous aurions tout à gagner à développer et consolider ces droits partout.
Mohamed Lounas