Rapport introductif à la CE de l’UL du 25 mars 2022 (extraits)

« … mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu’ils pourront tenter. »

Jean Jaurès, discours du 25 juillet 1914 à Lyon.

Ainsi donc, comme une rayure sur un vieux disque vinyle renvoie sans cesse le saphir toujours au même point du microsillon, voilà que des bruits de bottes et de canons résonnent à nouveau sur le sol européen. Des enfants, des femmes et des hommes, de tous âges, meurent en ce moment même, aujourd’hui, sous les bombes, en Europe, à deux pas de chez nous.

Même si l’état du monde entretenait en chacun de nous, année après année, le sourd pressentiment presque atavique qu’un malheur pouvait survenir à tout moment, nos générations qui, pour la plupart n’ont connu que la paix sur notre sol, se cramponnaient malgré tout à l’espoir que les inconséquences de la folie des hommes de pouvoir nous seraient épargnées encore longtemps, très longtemps. Et c’est dans ce sentiment rassurant que la paix pourrait être éternelle que nous avons élevé des enfants que nous avons mis au monde, persuadés que celui-ci serait sûr, au moins de ce point de vue. Et voilà que, de nouveau, les nuées de la guerre reviennent assombrir notre ciel. Voilà que la Russie agresse l’Ukraine.

Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs au point de nous laisser tromper par l’habituel schéma simplificateur des gentils et des méchants, du bien et du mal. Il n’empêche que des gens souffrent et meurent et que cela ne nous laisse pas indifférents.

Comme toujours, c’est dans les enjeux d’influence et de domination, entre les nations, qu’il faut chercher les causes de cette rage meurtrière. Et de toute évidence, ces causes remontent à loin, sans doute une trentaine d’années, lors de la dislocation de l’URSS, à un moment où d’aucuns se réjouissaient du triomphe du bon capitalisme et de la défaite du vilain communisme. Mais là encore, il ne faut pas verser dans l’angélisme béat : si des rendez-vous ont été manqués à l’époque, ils résidaient essentiellement dans l’idée des uns de faire de la Russie le vassal de l’impérialisme américain et pour les nouveaux maîtres de cette Russie, d’en faire un pôle capitaliste puissant, reposant sur un nouvel impérialisme russe qui renverrait le monde à l’avant-révolution d’Octobre.

C’est assez dire si, dans ces visions, les intérêts bien compris des peuples en général et des travailleurs en particulier, ne pèsent pas lourd. Le nationalisme exacerbé d’un Poutine ne vaut guère mieux que la prétention occidentale à s’afficher en parangon de démocratie et en chantre des libertés. Car dans les faits, ce sont surtout les travailleurs et les classes laborieuses, les plus modestes, qui paient la facture. Et si le recul des droits syndicaux est incontestablement plus brutal dans « l’empire » russe, il n’est pas pour autant une vue de l’esprit dans l’union européenne, y compris en France où l’arsenal législatif des 10 dernières années n’a d’autre but que de réduire à l’impuissance les travailleurs et leurs syndicats les plus déterminés, dont la CGT. La différence vient peut-être du fait qu’on risque moins de croupir en prison ici, mais cela ne rend pas ces atteintes plus acceptables pour autant. De ce point de vue, l’Ukraine n’a pas été une si mauvaise élève puisqu’elle a apporté à sa législation du travail, ces dernières années, des modifications visant à museler les syndicats libres de salariés. Sans doute une manière de montrer patte blanche pour entrer dans cette union européenne si soucieuse du bien-être des vrais créateurs de richesse !

Alors, qu’on ne nous demande pas de prendre parti dans un conflit qui oppose avant tout, deux impérialismes capitalistes.

Mais oui, nous sommes solidaires des gens qui souffrent et qui meurent dans ce conflit imbécile qui transforme comme toujours les peuples en chair à canon. Car ils sont avant tout les victimes de la brutalité poutinienne aussi bien que de l’hypocrisie et de l’impéritie occidentale. Et c’est dans cet esprit que nous exhortons les dirigeants de tous les pays impliqués à faire cesser les souffrances infligées aux peuples martyrisés et à s’assoir autour d’une table de négociation pour retrouver le chemin de la paix et de la coopération.

Dans l’attente, nous appelons tous les citoyens de bonne volonté à apporter une aide pacifique et neutre de tout jugement aux victimes de ce conflit.

Nous dénonçons aussi l’infâme hypocrisie de ceux qui prétendent que les discours pacifistes sont des déclarations d’abandon du peuple ukrainien, sous-entendant par là que, invoquer la paix, ce serait approuver Poutine. L’hypocrisie aussi de ceux qui se drapent désormais dans un humanisme sélectif et de bon aloi à l’égard d’Européens en souffrance alors qu’ils n’ont pas hésité à maltraiter et même à condamner à une mort certaine des milliers de réfugiés coupables de venir de trop loin, de ne pas avoir la bonne couleur de peau ou de ne pas se prosterner devant le bon dieu. L’hypocrisie également de ceux qui n’ont pas de mots assez durs contre l’agression criminelle de la Russie poutinienne mais n’ont jamais fait montre de la même détermination envers les agressions israéliennes tout aussi criminelles contre le peuple palestinien ni contre les guerres entreprises par des alliés trop bien pourvus en matières premières indispensables à nos économies ou trop bons clients de nos industries de guerre, souvent les mêmes. Et l’hypocrisie, enfin, de ceux qui font mine d’oublier que la répression brutale et sanglante des mouvements sociaux n’est pas l’apanage des seuls régimes autocratiques et que la France de Hollande et surtout celle de Macron s’y est elle-même vautrée sans vergogne.

Cette guerre qui focalise les inquiétudes légitimes et, malgré tout, nos espoirs qu’une issue rapide lui soit trouvée, ne doit pas faire oublier les réalités politiques et sociales de notre pays.

Comme il fallait s’y attendre, Macron et ses acolytes tentent de nous la jouer « père de la nation », se mettant en scène comme s’il était lui-même enfermé dans un bunker écrasé par les bombardements russes, dans une pitoyable parodie de Volodymyr Zelensky. Piètre tentative d’escamoter le débat pourtant indispensable sur son bilan dont nous savons tous qu’il est catastrophique pour les travailleurs. Quoi d’étonnant, finalement, que ce quinquennat dont seule la bourgeoisie peut se féliciter d’avoir été bénéficiaire des contre-réformes engagées, se termine sur cette mauvaise comédie du chef de guerre faisant le don de sa personne au pays et qu’il faudrait reconduire sans lui faire de misère pour le récompenser de son courage ?

Or, justement, il ne saurait en être question. Reconduire Macron et sa clique, c’est parachever à coup sûr la casse de notre modèle social, de nos retraites, de l’école publique, de notre système de santé et de l’hôpital public, ainsi que de nos institutions et de nos services publics. C’est sacrifier les derniers pans de souveraineté économique et politique de notre pays et sa dilution dans une union européenne belliqueuse, ultra-libérale et anti-démocratique. C’est accepter la disparition du SMIC au profit d’une gratification indigne visant à obliger les plus précaires à accepter n’importe quel travail à n’importe quelle condition. C’est enfin accepter d’exclure de la retraite les travailleurs les plus pauvres, ceux qui font les métiers les plus pénibles et dont on sait pertinemment qu’ils seront morts longtemps avant d’avoir atteint les 65 ans fatidiques.

Partout des conflits sociaux éclatent, provoqués par l’épuisement de salariés arrivés au bout du bout du supportable. Les augmentations incessantes des prix de toutes choses, mais au premier rang desquelles l’énergie, les carburants et les produits de première nécessité, poussent vers la précarité chaque jour un peu plus de travailleurs qui hier encore pouvaient espérer être à l’abri du besoin. D’autres sont sanctionnés financièrement pour n’avoir pas voulu se soumettre à une politique sanitaire erratique alors qu’ils avaient fait front sans hésitation aux premières heures de la pandémie. Partout les travailleurs exigent leur dû pour vivre dignement de leur travail et assurer l’avenir de leurs enfants et leurs propres vieux jours.

Nous, la CGT, sommes aux côtés des travailleurs qui ne se résignent pas et qui entrent en lutte pour exiger leur juste part des richesses qu’ils produisent et contre le pillage du pays. En cela, la CGT a démontré depuis longtemps que ses revendications étaient en phase, ô combien, avec les préoccupations des Français, travailleurs actifs, retraités, privés d’emplois, précaires, agents de l’Etat ou salariés du privé, femmes ou hommes. Et c’est aussi la pertinence et la constance de notre soutien aux travailleurs en lutte qui doivent imposer désormais la question sociale au cœur de la campagne électorale.

Car c’est à nous aussi qu’il revient de jeter les bases d’un changement politique salvateur et indispensable là où les appareils partisans semblent incapables de s’accorder. Car, étant les témoins quotidiens du désarroi des populations que les libéraux et l’extrême-droite tentent de s’approprier pour les orienter vers de mauvaises causes, nous savons que seules les idées qui fondent notre combat syndical, social et humaniste redonneront l’espoir à la masse des gens qu’un système économique à bout de souffle sacrifie aux intérêts d’une minorité. Il serait illusoire de croire que nous pourrions infléchir les délires destructeurs d’un Macron victorieux ou d’un pantin d’extrême-droite, sauf à choisir des voies d’affrontement dont nul ne peut prédire les conséquences sinon qu’elles risquent d’être douloureuses. Car qui peut croire que nous réussirions, comme par enchantement, dans un contexte aussi défavorable à nos idées, là où nous échouons hélas depuis presque 10 ans ?

Nous pouvons ne pas être d’accord sur tout mais nous pouvons l’être sur l’essentiel et c’est là que se trouve l’espoir de notre victoire pour construire un avenir meilleur.

Et c’est aussi parce que demain, comme hier, la CGT et ses organisations seront présentes aux côtés des travailleurs pour conquérir de nouveaux droits que nous devons travailler à renforcer nos structures interprofessionnelles. C’est ce à quoi nous vous invitons en préparant les débats de notre prochain congrès.

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