L’extrême-droite et la mobilisation du 5 décembre 2019

« Marine Le Pen apporte son entier soutien au monde du travail, qui a des intérêts communs. L’opposition nationale sera pleinement mobilisée aux côtés de tous ceux qui manifesteront contre le funeste projet de réforme des retraites. » Voilà comment se termine le communiqué du Rassemblement National daté du 6 novembre 2019. Cela tranche avec la position traditionnelle du RN sur la grève et les mobilisations sociales et mérite d’être creusé.

Un discours « social » qui conforte en réalité les discriminations et les inégalités

Le Rassemblement National, notamment depuis l’accession à la présidence de Marine Le Pen, a fait évoluer son discours. De nombreuses propositions du programme présidentiel de 2017 semblent sorties d’un cahier revendicatif syndical : fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans, retirer la loi Travail, revaloriser le minimum vieillesse, compenser la pénibilité par une majoration des annuités de retraite… pour ne citer que celles le plus en lien avec la question des retraites.

Évidemment, pas grand-chose n’est dit sur le financement de ces mesures. Mais combien de salariés, de chômeurs et de retraités iront chercher plus loin ? C’est d’ailleurs là-dessus que compte le RN : des propositions vagues, une palette de position où chacun retiendra ce qui lui convient, même s’il est indéniable que les questions sociales ont pris une place de choix à l’extrême-droite, et pas seulement au Rassemblement National. Que le GUD, organisation étudiante d’extrême-droite, devienne « Bastion social », ouvre des squats et fassent des maraudes pour les SDF (de souche), que même Marion Maréchal cite « le grand déclassement » comme second défi prioritaire derrière « le grand remplacement », ce sont des évolutions dont nous devons prendre pleinement la mesure.

Si l’on regarde cela plus en détail, on voit que les propositions du RN s’inscrivent dans un tout autre cadre que celui des revendications portées par la CGT. D’abord, la priorité nationale et les mesures discriminatoires envers les étrangers sont au cœur du projet du RN, là où la CGT pose l’égalité des droits de tous les travailleurs et travailleuses comme un principe fondamental et émancipateur, permettant de plus de garantir et d’améliorer l’ensemble des droits ainsi que les conditions de travail et de vie. Tout en proposant des mesures natalistes ou contraires à l’égalité femmes-hommes (comme le « libre choix » du congé parental, qui conduit les femmes, moins bien payées, plus souvent à temps partiel, à être très majoritairement le parent qui le prend, avec les conséquences que l’on connaît sur l’évolution professionnelle et la retraite), le RN se donne un vernis « féministe » sous un fond de racisme : défendre les droits des femmes, c’est en premier lieu « lutter contre l’islamisme. »

Certains ont bien compris le message : les insultes et agressions (qui n’épargnent pas les lieux de travail) envers les musulmans et les exilés augmentent et la France a connu en quelques mois deux attentats contre une mosquée faisant des blessés (Brest le 27 juin, Bayonne le 28 octobre).

L’extrême-droite ne cible jamais l’organisation capitaliste du travail ou les politiques patronales.

Sont visés Emmanuel Macron (à qui Marine Le Pen espère bien succéder), la finance (qui n’est qu’une composante du capitalisme, et celle qui a tendance à activer l’imaginaire antisémite) ou certaines entreprises étrangères. L’extrême-droite adopte un discours prétendument « social » tout en restant sur une ligne nationaliste, qui cherche à se faire passer pour une forme de lutte contre le capital. Quand Marine Le Pen parle de la « politique de classe » de Macron tout en ‘’oubliant’’ les responsabilités fondamentales du capitalisme et en prônant au contraire le protectionnisme national en matière économique, cela vise à protéger les entreprises « françaises » de la concurrence capitaliste mais pas les salariés, français ou étrangers, de l’exploitation et de la misère ! Les salariés des très petites entreprises (TPE), pour et avec qui nous sommes en campagne jusqu’aux élections de fin 2020, ou ceux d’entreprises plus importantes sont-ils mieux traités, ont-ils plus de droits parce que leur patron a une carte d’identité française ou que le siège social est en France ? Non. Là où les conditions sont moins mauvaises, c’est qu’il y a eu des luttes !

Le Rassemblement National n’est pas la seule organisation d’extrême-droite avec un discours pseudo-social et appelant à soutenir les mobilisations : Dupont Aignan (Debout la France, qui s’est allié au RN au second tour des présidentielles de 2017) appelle « à une mobilisation totale de tous les Français » tout en précisant qu’il n’est « pas CGT. Je suis pour une économie libérale, pour qu’on baisse les charges des PME, pour qu’on fasse un protectionnisme européen et national intelligent. » Même la Dissidence Française, un groupe activiste antisémite et raciste (pour la « remigration »), dit s’opposer « résolument au projet inique du gouvernement Macron » aux côtés « des salariés, des fonctionnaires, des artisans-commerçants et des professions libérales. »

Que tout le champ de l’extrême-droite se positionne sur la réforme des retraites et les questions sociales est un signe du poids de ces sujets, du ras le bol des salariés mais aussi celui d’un enhardissement, d’une volonté d’empiéter et de disqualifier le syndicalisme. Si les directions syndicales sont régulièrement brocardées par les figures publiques du RN et insultées par la fachosphère, la nature des critiques a elle aussi évolué. Ainsi Marine Le Pen fait-elle des propositions de mode d’action, avec la grève de la gratuité, invitant les syndicats à être plus « imaginatifs » tout en attaquant le secrétaire général de la CGT qui a clairement réaffirmé que « les solutions de gens qui sont racistes ne sont pas les bienvenues dans les mouvements sociaux ». « Le problème dans notre pays n’est pas l’immigration, c’est le partage des richesses. »

Dénoncer et combattre le piège mortel de l’extrême-droite

Jordan Bardella, euro-député RN habitant le 93, répond que la CGT n’est « pas propriétaire de la contestation », quand Marine Le Pen argumente que « si Monsieur Martinez souhaitait véritablement défendre les intérêts des salariés, il souhaiterait évidemment que cette manifestation réunisse le plus de gens possible et il accueillerait positivement le soutien du plus grand parti de France à la demande de retrait de la réforme des retraites. » Pourtant, c’est plutôt l’inverse qui se produirait : la présence de l’extrême-droite risque de faire hésiter ou de faire fuir certaines franges du salariat, pas toujours convaincues de l’efficacité du syndicalisme (jeunes, précaires…) ou directement visées par le racisme, l’antisémitisme et les LGBTphobies.

Cela fait plus d’une dizaine d’années que Marine Le Pen et les élus ou responsables du Front National ont commencé à venir, ponctuellement, sur des piquets de grève ou des initiatives revendicatives. Méconnaissance de leur identité de la part des militants ou sympathie, ils ne sont pas toujours repoussés, ou cela ne fait pas l’unanimité chez les manifestants. Au printemps 2018, la CGT a refusé la présence des manifestations d’élus du RN ou de militants de l’UPR d’Asselineau, mais est-ce systématique ? En effet, l’extrême-droite ne dédaigne plus la rue. Le mouvement des gilets jaunes a été une occasion pour l’extrême-droite d’investir des mobilisations et de se donner une légitimité sociale. Elle n’a pas forcément pris le contrôle de ce mouvement, mais les récits complotistes s’y sont développés à l’aise, la présence de personnes racistes ou d’extrême-droite n’était pas forcément vue comme un problème, comme l’illustrent les idées d’un bon nombre de figures des gilets jaunes parmi les plus suivies.

Ce combat contre les idées d’extrême-droite et leur présence dans les mobilisations ne fait que commencer et doit se mener au quotidien. Connaître les militants d’extrême-droite localement et anticiper notre réaction et leurs provocations, repérer le genre de discours qui doit alerter à la machine à café et y réagir, comprendre les mécanismes et discours fascisants et les contrer, voilà les enjeux auxquels sont confrontés les militants CGT.

Rapprochez-vous de l’UD pour entrer dans l’action.

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