PRECARISATION DES RETRAITE-E-S
A la retraite, quand un conjoint meurt, le conjoint restant touche une partie de sa pension. Sous couvert d’équité et de justice, ce mécanisme est sensiblement bouleversé. LEtat décide de serrer la ceinture aux futurs retraités, illustration.
C’est le think tank Institut de la protection sociale (IPS) qui s’est penché sur le projet de réforme des retraites et le rapport Delevoye. Et les conclusions sur la question des réversions sont particulièrement explosives comme le souligne notamment le journal L’opinion qui affirme au sujet du rapport : ce que l’on a moins remarqué, c’est que le droit à pension de réversion sera ouvert à compter de 62 ans dans le régime universel, « contre 55 ans aujourd’hui pour les salariés du privé ». Le journal continue : « au passage, c’est sept ans de versement de pension en moins ! Comment seront pris en charge les veufs et les veuves âgés entre 55 et 62 ans ? » s’interroge Bruno Chrétien« . Explications.
Les retraités sont un secteur qui a constitué, en partie, la base électorale de Macron. Pourtant, ceux-ci ont très vite déchanté et se sont retrouvés au cœur des attaques de la macronie, les enquêtes d’opinion indiquant un grand revers de popularité du Président dans cette couche de la population.
La première attaque a été portée avec la hausse de la CSG qui a conduit de nombreux retraités à manifester en mars 2018 (alors que les EHPAD étaient aussi en grève dévoilant un autre aspect des mauvais traitements infligés aux retraités en période d’austérité ambiante) puis à rejoindre les Gilets Jaunes. Les pensions de réversion se trouvaient également au cœur des inquiétudes. Diverses sources gouvernementales, parfois contradictoires, agitaient des modifications qui n’étaient pas de nature à rassurer les retraités. Ces pensions de réversion consistent à verser, en cas de décès d’un conjoint retraité, une partie de sa pension à son conjoint.
Aujourd’hui, les principales bénéficiaires de cette pension de réversion sont les femmes, – elles représentent 89 % des bénéficiaires. Cette pension de réversion, unique source de revenus – et de survie – pour certaines d’entre elles, devient dès lors un outil, certes insuffisant et avec un caractère palliatif, de « rééquilibrage » contre les inégalités de revenus selon le sexe, à l’heure où les inégalités professionnelles persistent à la retraite.
Fidèle à sa logique de la justice et de l’égalité par en bas et du moins-disant social, le gouvernement a trouvé un système pour contourner le problème. Alors qu’aujourd’hui la pension de réversion se calcule à partir de 54 % (jusqu’à 60 % selon les régimes de retraite) de la pension du défunt, le gouvernement change la logique de calcul : désormais les revenus du conjoint restant devront être équivalent à 70 % du total des deux pensions.
La pension médiane s’élève à 1389 euros ! Dans de nombreuses situations, des variations de quelques dizaines d’euros par mois peuvent faire la différence pour des retraités (d’où leur colère face à l’augmentation de la CSG).
Il faut reconnaître à ce mode de calcul, et c’est le principal argument du gouvernement, qui prend beaucoup dans une main pour remettre un peu dans l’autre, que le mode de calcul peut légèrement avantager (par rapport au système actuel) le conjoint qui dispose d’une plus petite retraite. Prenons un exemple où monsieur toucherait 1400 euros de pension, et madame 700.En cas de décès de monsieur, elle toucherait selon le modèle actuel (en prenant la base de calcul du privé de 54%) 1456 euros, et 1470 avec celui proposé par le rapport Delevoye. Dans le cas inverse, monsieur toucherait aujourd’hui 1778 euros et demain 1470. En définitive un moyen de faire des économies sur le dos des plus pauvres, en les comparant à des nantis, le tout au nom de la justice sociale !
Mais ce que cache en réalité cette hypocrisie et quel est le cœur de la modification de la pension de réversion, c’est le recul de l’âge où l’on peut toucher cette pension. Il est aujourd’hui de 55 ans, après la réforme il passera à 62 ans, soit un recul de 7 ans ! Où passe la justice sociale pour une femme de moins de 62 ans dont le conjoint viendrait à décéder ?
Rappelons que cette pension de réversion est perçue par 4,4 millions de retraités, dont 89 % sont des femmes. Selon ces chiffres impressionnants de la Drees (Direction de recherche , des études, de l’éducation et des statistiques), cette pension représente une ressource vitale pour de nombreuses femmes dont le conjoint est décédé. Malgré une amélioration depuis une dizaine d’années, les pensions de retraite des femmes restent en moyenne 25 % inférieures à celles des hommes. Sans les pensions de réversion, cet écart se creusera et mettra de nombreuses femmes en situation de plus grande précarité.
En réalité, les statistiques sont souvent trompeuses et en tout cas résultent de réalités particulièrement hétérogènes. C’est le cas pour la hausse de l’espérance de vie sur laquelle s’appuie le gouvernement pour faire travailleur tout le monde plus et plus longtemps ! Pourtant l’espérance de vie (sans parler de l’espérance de vie en bonne santé) varie énormément selon la situation sociale. Ainsi, selon l’INSEE, à 35 ans un homme né en 1990, peut espérer vivre encore 28 ans s’il est au chômage, 39 ans s’il est ouvrier, 40 ans s’il est employé, 46 ans s’il est cadre. Là aussi ces distinctions sociologiques recouvrent des réalités très différentes (un intérimaire est toujours employé peu importe le poste qu’il occupe réellement). Les préconisations du rapport Delevoye (augmentation du temps de cotisation et/ou recul de l’âge de départ à la retraite), servies avec l’accompagnement de mesures qui s’attaquent à nos conditions de vie (logement, services publics de santé, de transport etc.) et de travail, apparaissent sous un autre jour quand on réalise que beaucoup n’atteignent pas cet âge ou alors tout juste pour pouvoir mourir quand on est trop usé par le travail pour pouvoir continuer à être utile aux patrons.
On pourrait également mentionner le fait que seuls les couples mariés (le système ne s’applique pas pour les couples pacsés par exemple) peuvent bénéficier des pensions de réversion. Le gouvernement s’adapte à son temps quand ça l’arrange !
Enfin, dans la logique de diviser la riposte d’ensemble qui pourrait surgir d’un tel projet de contre-réforme des retraites, dont les pensions de réversion ne sont qu’un exemple partiel mais illustratif, cette mesure ne s’appliquera pas pour tous ceux qui partiront à la retraite avant 2025, date de début de mise en application de la future loi (pour une application totale en 2040) !
Publié sans l’aimable autorisation du site Révolution permanente que nous remercions néanmoins !