L’actualité se pare parfois d’une ironie cinglante qui vient opportunément nous rappeler l’amère réalité de cette époque. Une époque gouvernée par une classe bourgeoise suffisante, devenue si sûre de sa domination qu’elle ne prend même plus la peine d’enrober son mépris pour les classes dominées du moindre simulacre de compassion.
Ainsi, nous avons appris samedi 2 octobre le décès de Michel Tubiana, ancien président puis président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, ancien avocat qui représenta notamment les parties civiles lors du procès Papon, faisant la démonstration que celui-ci avait choisi de servir Vichy en toute connaissance de cause ; homme de paix qui a joué un rôle majeur dans la fin des actions armées au Pays basque ; ardent défenseur des libertés publiques et de la dignité humaine ; homme de conviction, infatigable promoteur des droits imprescriptibles de la personne humaine. Un grand monsieur, emporté par la Covid-19. Quelques heures après, nous avons appris le décès de Bernard Tapie, ancien député des Bouches-du-Rhône, ancien homme d’affaire sans scrupule porté au pinacle sous la présidence de François Mitterrand et qui s’est enrichi, notamment, en revendant à la découpe des entreprises achetées à vil prix et en jetant sur la paille des centaines de salariés sacrifiés lors de ces opérations de prédation. Un tricheur patenté qui n’a jamais craint de recourir à la corruption pour dorer son étoile, y compris dans le sport, un bateleur et un faussaire, condamné pour abus de biens sociaux, qui a fini par se faire prendre (et encore !) lorsqu’il a voulu arnaquer le Crédit Lyonnais en lui revendant Adidas.
Mais que croyez-vous qu’il advint ? Le décès du premier n’a pas fait 5 lignes dans toute la presse, à de rares exceptions près comme l’Humanité et Politis, notamment, tandis qu’on consacrait des éditions spéciales jusqu’à la nausée à celui du second et qu’on lui offrait des funérailles quasiment nationales. Certains, comme France Inter, sont même allés jusqu’à célébrer « la disparition d’un monument. » Vous ne rêvez pas : ils parlaient bien de Bernard Tapie, pas de Michel Tubiana ! Quelle indécence ! Quelle plus écœurante illustration des turpitudes d’une époque qui rend hommage à un minable escroc et ignore un grand homme de bien qui a fait honneur à notre pays !
Presque simultanément, un consortium international de journalistes révélait une liste impressionnante de personnalités des mondes politique, artistique, sportif ou des affaires, dont certaines de premier plan (anciens chefs de gouvernements, anciens ministres, etc.) – parmi lesquelles plus de 600 Français – ayant soustrait au fisc de leurs pays respectifs des parts considérables de leurs revenus dont le montant astronomique dépasse 11 300 milliards de dollars. Ne nous berçons pas d’illusions : pas plus que les « Panama papers » n’ont eu de plus graves conséquences, il y a 5 ans, que des cris d’indignation et de vagues promesses vite rangées sur les étagères déjà bien pourvues de l’hypocrisie et de l’arrogance de la bourgeoisie internationale, les nouvelles révélations de ces « Pandora papers » ne provoqueront de véritable détermination à lutter contre le pillage des richesses produites par les travailleurs de tous ces pays. Partout, ce sont les mêmes qui gouvernent !
Mais, au moins, ces révélations – qui ne sont en réalité que des confirmations des escroqueries que la CGT et d’autres organisations telles qu’ATTAC ou Anticor dénoncent depuis de trop nombreuses années – ont le mérite de mettre en lumière l’indécence du discours du gouvernement et du patronat au moment où ils imposent une réforme de l’assurance chômage qui va saigner à blanc des centaines de milliers de privés d’emploi, au moment où ils veulent mener à terme celle des systèmes de retraite sous prétexte qu’ils seraient devenus ringards, injustes et infinançables, au moment où ils portent l’estocade contre la sécurité sociale et notre système de santé pour les offrir aux intérêts privés présentés fallacieusement comme de meilleurs gestionnaires, au moment où ils dénoncent de manière sournoise des retraités égoïstes et privilégiés car « n’ayant pas connu de perte de revenus durant la crise sanitaire » et qui devraient donc faire pénitence en supportant toujours davantage d’impôts et de taxes voire même, à terme, une baisse de la valeur nominale de leurs pensions. Bref, ce nouveau scandale démontre de façon criante la dichotomie entre, d’un côté, le discours et l’action gouvernementales qui entendent faire payer aux seuls travailleurs, retraités et privés d’emploi les conséquences de la crise en les rendant responsables de la dette résultant du « quoi qu’il en coûte » et, de l’autre, l’enrichissement des classes dominantes qui volent la nation en la privant des moyens qui lui permettraient d’assurer un juste partage des richesses produites par les travailleurs, le développement des services publics et la prise en compte véritable des besoins des populations face aux incertitudes d’un avenir proche.
C’est dans ce contexte que les travailleurs ont répondu nombreux, partout en France, à l’appel intersyndical à la mobilisation du 5 octobre. A Avignon, nous étions 1500 à affirmer nos revendications relatives à la revalorisation des retraites, à l’augmentation des salaires, au renforcement de la protection sociale, à l’égalité professionnelle, à la création d’emplois et à la défense des services publics. Un premier succès qui en appelle d’autres pour faire reculer le gouvernement. Pour cela, il faut construire la mobilisation afin de lui donner l’ampleur nécessaire pour imposer notre propre agenda et les changements de cap que l’urgence sociale, sanitaire et écologique réclame. Car qui peut croire que des manifestations périodiques, aussi massives soient-elles, peuvent réellement contraindre le gouvernement, le patronat et la bourgeoisie réactionnaire à cesser leur pillage ? Il faut donc les atteindre sur ce qui les préoccupe le plus : leur enrichissement. C’est donc vers la construction d’un gigantesque mouvement de grève générale qu’il faut orienter nos efforts et convaincre, encore et toujours que rien ne changera si les travailleurs et les travailleuses n’entrent pas véritablement dans l’action.
La crise sanitaire est venue tendre le climat social marqué au cœur de l’été par des mobilisations significatives. Ici il faut redire la position de la CGT : oui, nous sommes favorables à la vaccination librement consentie. Oui, nous sommes favorables à de grandes campagnes d’information pour convaincre les Français et, notamment les travailleurs, du bénéfice de la vaccination. Ici, la médecine du travail pourrait jouer un rôle majeur pour faciliter la diffusion de ce message. Mais non, mille fois non, nous n’acceptons pas ce passe sanitaire qui instaure une discrimination injustifiée et injustifiable entre les Français. A nos yeux, il s’agit d’une atteinte intolérable aux droits de la personne humaine et nous appelons toutes nos organisations à le combattre partout et, notamment, sur les lieux de travail en prenant la défense des salariés mis à pied ou licenciés pour ce motif.
Nous le voyons bien, ici, à l’UL, la situation sociale s’est considérablement dégradée. De nombreux salariés sont en butte à un grand désarroi en raison de l’arbitraire de certains petits patrons. En attestent les nombreuses demandes d’aides formulées par des salariés isolés et certaines démarches pour la création de syndicats. Nos permanences fonctionnent bien, hélas, serait-on tentés de dire ! A tel point que pour faciliter nos consultations d’avocats, nous proposons de leur réserver désormais toute la journée des mercredis. Mais il nous semble également important que les autres journées de permanences (les mardis et les jeudis) soient animées à tour de rôle par les syndicats du territoire, au nom de leurs fédérations, pour venir à la rencontre des salariés qu’ils ne peuvent pas atteindre d’ordinaire au sein de leurs structures professionnelles. Cela aussi est soumis à votre réflexion.
Terminons ce rapport introductif par un point de passage obligé et important de la vie de notre structure. Le mandat de l’actuelle CE touche à sa fin. Si nous pouvons nous féliciter de son renforcement à l’issue de notre assemblée générale de rentrée qui a vu l’élection de 3 militants connus et impliqués, le temps est néanmoins venu de préparer notre prochain congrès et d’en poser le calendrier préparatoire.
Notre congrès aura lieu, si vous en êtes d’accord, le 1er avril prochain, au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle. Il y a maintenant de nombreux mois que nous voyons monter la marée nauséabonde des discours d’extrême-droite dont le gouvernement, soutenu par les habituels pitoyables chiens de garde de l’éditocratie, entend faire le point central des débats à venir. Que nous le voulions ou pas, nous savons que leurs thèmes favoris, l’immigration et l’insécurité, seront au centre de cette campagne. Ils le sont d’ailleurs depuis trop longtemps. A nous de faire mentir les complices de l’infâmie et de proclamer haut et fort nos valeurs en imposant les exigences sociales portées par la CGT et ses organisations et en faisant de la défense de la dignité et des droits de la personne humaine le seul vrai rempart contre l’imposture des extrêmes droites et de leurs donneurs d’ordre. Ainsi rendrons-nous hommage à Michel Tubiana et aux grands humanistes qui font l’honneur de notre pays.