Les outils de chantage à l’emploi : les accords de performance collective (APC) et le nouveau dispositif d’activité réduire pour le maintien dans l’emploi (ARME)

« Faut-il baisser son salaire pour préserver son emploi ». Cette question revient en boucle dans les médias depuis quelques jours. Avec la crise sanitaire et la crise économique qui commence, le chantage à l’emploi va prendre une importance considérable dans le quotidien des salariés.

Plusieurs outils existent déjà pour mettre en œuvre de chantage à l’emploi. Il s’agit notamment des accords de performance collective (APC), présentés par la ministre du Travail comme une alternative aux licenciements et envisagés par plusieurs entreprises. Ce n’est pas un dispositif nouveau créé à l’occasion de la crise sanitaire actuelle. Il s’agit de la dernière version des accords dits « de compétitivité », qui existent depuis 2013, et qui ont été réformé et dépouillée des faibles garanties qui existaient à leurs débuts avec les ordonnances Macron.

La loi relative à la crise sanitaire adoptée le 10 juin par la commission mixte paritaire prévoit quant à elle la création d’un dispositif « d’activité réduite pour maintien dans l’emploi » (ARME), qui est une forme spéciale d’activité partielle, largement utilisée pendant la crise sanitaire. De par sa logique, ce dispositif s’apparente également à un mécanisme permettant de faire supporter aux salariés et à l’Etat, les réductions d’activité en contrepartie de la préservation de leur emploi.

Les APC

Qu’est-ce qu’un accord de performance collectif : Ces accords permettent de modifier la durée du travail (suppression de RTT ou de congés, augmentation de la durée de travail sans augmentation de salaire…) de baisser les salaires (suppressions de primes, baisse des majorations…) et de modifier l’organisation et les conditions de travail (mobilités géographiques, changement de poste…). Autant de modifications qui nécessitent en principe l’accord des salariés concernés. Mais si ces modifications sont prévues par un accord de performance collective, le salarié peut certes s’y opposer, mais il sera alors licencié, son licenciement sera réputé être justifié c’est à dire qu’il ne pourra pas le contester, et il ne bénéficiera pas de l’accompagnement prévu en cas de licenciement collectif pour motif économique, quand bien même beaucoup de salariés seraient licenciés dans ce cadre.

Exemples d’APC :

  • Accord UCPA avec généralisation de la mobilité, augmentation de la durée hebdomadaire maximale, extension de la modulation du temps de travail…,
  • Accord groupe Institut de soudure avec suspension de JRTT, suspension des versements de cotisation pour la retraite surcomplémentaire…

L’exemple de l’entreprise Derichbourg (Source AEF) :

Pour cause de baisse du chiffre d’affaires, la direction de l’entreprise avait envisagé dans un premier temps un plan de sauvegarde de l’emploi pour 700 salariés sur les 1 600 dont 1 400 dans l’agglomération toulousaine que compte le groupe.
Une fois la menace sur les suppressions d’emplois exercées, la direction du groupe a mis en place un accord de performance collectif avec 4 mesures fortes :

  1. La suppression des indemnités forfaitaires et journalières transport et repas au profit de la mise en place de titres-restaurants ;
  2. La suppression du 13e mois pour l’année 2020 pour les cadres dont le salaire de base mensuel est supérieur à 2,5 Smic soit 3 848,55 euros ;
  3. L’encouragement à la mobilité volontaire avec l’octroi d’une prime incitative à hauteur de 4 000 euros.
  4. Inciter les salariées expérimenté.es à partir en majorant leurs indemnités de départ.

Ces mesures se superposent aux mesures d’activités partielles mises en place par l’Etat, en contrepartie la direction s’engage seulement à ne pas faire de licenciements économiques.

Accord de Performance Collective chez PSA Vesoul signé en juin 2018 :

  • Une hausse de la durée du travail de 7,8 %, de 35 heures à 37h45, sans que les 2h45 entraînent une majoration pour heures supplémentaires.
  • « Une prime de performance » de 100 euros en fin d’année.
  • La majoration des heures supplémentaires effectuées au-delà de 37h45, de 40 % jusqu’à 43 heures et de 50 % ensuite.
  • 80 embauches sont prévues jusqu’en 2020, ainsi que 20 millions d’euros investis « dans la mutation sur un autre site PSA », avait indiqué la direction à l’époque.

Un an après, la CGT, seul syndicat non signataire de l’accord juge qu’« en face des (30) embauches, il y a eu 221 suppressions de postes en un an », correspondant au non-remplacement de départs volontaires de salariés âgés avant l’échéance normale de leur retraite dans le cadre du « plan seniors » du groupe PSA.

Ces accords ne sont ni plus ni moins que des accords de compétitivité encore plus favorables aux directions d’entreprises. Ces fameux accords de compétitivité sont légion depuis la crise de 2009 et n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour maintenir les emplois. Ainsi, dans la métallurgie où ils ont été très nombreux, 20% des emplois ont tout de même disparu entre 2012 et 2019 (1.681000 en 2012, DARES et 1.350000 en 2019) et la population salariée a vieilli.

Dans l’entreprise Mahle Behr en Alsace, spécialisée dans les climatiseurs pour automobile, un accord de compétitivité a gelé les salaires en 2013 pour trois ans, a réduit de 15 à 10 les jours RTT, contre le maintien de l’activité. Un nouvel accord est signé en 2016 mais cela n’a pas permis de sauver les emplois.

Quand peuvent-ils être signés ?

Un accord de performance collective peut être signé dans 3 hypothèses :

  • Pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise,
  • Pour préserver l’emploi,
  • Pour développer l’emploi.

Deux points sont particulièrement choquants dans le nouveau dispositif des accords de performance collective actuel. D’une part, l’entreprise n’a même pas besoin de démontrer l’existence de difficultés économiques pour proposer la signature d’un tel accord. Il suffit qu’elle prétende qu’il est nécessaire au fonctionnement de l’entreprise. D’autre part, l’entreprise n’a pas l’obligation de prendre des engagements en termes d’emploi. Elle n’est plus tenue de prévoir que les concessions faites par les salariés auront pour contrepartie la garantie qu’ils ne seront pas licenciés. La garantie d’emploi, déjà toute relative autrefois, est aujourd’hui absente ! D’une certaine façon le salarié est contraint de s’investir dans son entreprise (en cédant une partie de son salaire ou en travaillant gratuitement) et ce n’est même pas considéré comme une créance que l’entreprise devrait rembourser en cas de retour à une meilleure situation.

Qui peut signer un accord de performance collective ?

Dans les entreprises où il y a un ou plusieurs délégués syndicaux, il doit s’agir d’un accord collectif majoritaire, signé par des organisations syndicales représentant plus 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations syndicales représentatives. Dans les entreprises sans délégués syndicaux, ils peuvent être signés dans les conditions dérogatoires applicables selon la taille de l’entreprise (avec des élus mandatés ou non, ou des salariés mandatés). Dans toutes les entreprises où la CGT est représentative, elle peut donc peser dans les négociations et empêcher la signature de tels accords.

En conclusion :

Ces accords permettent aux entreprises d’amputer les droits des salariés, en termes de temps de travail ou de rémunération, sans être tenues de justifier de difficultés économiques ou de s’engager sur un maintien de l’emploi.
C’est un outil de chantage à l’emploi, mettant les salariés face à un choix qu’ils ne devraient pas supporter : faire des concessions sur leurs droits ou perdre leur emploi.
Comme toujours, les efforts sont demandés aux salariés, sans que les dirigeants ou les actionnaires ne soient également mis à contribution. Il s’agit d’un renversement de la responsabilité des employeurs vers les salariés.
Nul doute, comme c’est déjà le cas, que beaucoup d’entreprises vont tenter de négocier des accords de performance collective, soit pour essayer de limiter les effets de la crise sanitaire, soit tout simplement pour augmenter leurs profits.

Le ministère indique que les entreprises pourront conclure ce type d’accord tout en utilisant l’Activité Réduite pour le Maintien dans l’Emploi (ARME), même s’ils n’ont pas des objectifs semblables.

L’ARME

Qu’est-ce que l’ARME ?

C’est un dispositif spécifique d’activité partielle destiné, selon la loi adoptée qui vise à assurer le maintien dans l’emploi dans les entreprises confrontées à une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité. Autrement dit, les salariés réduisent leur temps de travail (et donc leur rémunération), et en contrepartie l’entreprise prend des engagements en termes d’emploi.

L’on comprend déjà mal la logique : si la baisse d’activité n’est pas de nature à compromettre la pérennité de l’entreprise, pourquoi les salariés devraient-ils faire des efforts ? Si la pérennité de l’entreprise n’est pas menacée, quel est l’effort réel de l’employeur en matière d’emploi ?

Par ailleurs, les conditions d’accès à ce dispositif ne sont pas claires, et on ne sait pas exactement quelles entreprises sont éligibles à ce dispositif. Le gouvernement semble expliquer l’intérêt de ce dispositif dans les entreprises qui vont connaître une reprise lente, pour adapter la capacité de production aux demandes. Mais faut-il que l’entreprise remplisse les conditions pour bénéficier de l’activité partielle classique (conjoncture économique, difficulté d’approvisionnement, sinistres …) ? Comme pour l’activité partielle, les salariés bénéficieront d’une indemnité compensant en partie leur perte de revenus, et les entreprises toucheront elles aussi une allocation. Les salariés sont donc amputés d’une partie de leur rémunération, et L’État finance la baisse d’activité des entreprises, dont la pérennité n’est pourtant pas compromise. La baisse d’activité indemnisée pourrait correspondre de 40 à 50% du temps de travail sans possibilité de mesure d’individualisation.

Ce dispositif ressemble à celui qui a été proposé par l’UIMM dans la métallurgie dans le cadre de la reprise, signé par les OS de la branche mais rejeté par la CGT, qui a considéré qu’il n’y avait pas lieu de créer un nouveau dispositif d’activité partielle.

Comment est-elle mise en place ?

L’ARME doit être mise en place par accord collectif, ou par décision unilatérale si un accord de branche étendue l’autorise. Il ne devrait pas y avoir de différenciation selon la taille des entreprises. Le contenu de l’accord sera précisé par décret, mais on sait déjà qu’il devra définir les salariés concernés, les réductions d’horaire pouvant être indemnisées et les engagements pris par l’entreprise en contrepartie, notamment pour le maintien dans l’emploi.

L’accord ou le document unilatéral devront être respectivement validés ou homologués par la DIRECCTE, mais son contrôle est extrêmement restreint. Par exemple, la DIRECCTE n’aura pas à contrôler la présence d’engagement en termes d’emploi en cas d’accord, alors que c’est précisément le but du dispositif, inscrit jusque dans son nom.

Le contrôle limité de la DIRECCTE, alors que ce dispositif permet aux entreprises de percevoir une allocation de l’Etat n’est pas tolérable, d’autant plus que les conditions d’éligibilités au dispositif ne sont pas claires.

Engagements en termes d’emplois :

On voit écrit dans la presse, notamment, que les salariés placés en ARME auraient en contrepartie la garantie de garder leur emploi. Mais ce n’est pas ce que dit la loi, qui précise seulement qu’en contrepartie de la réduction d’horaire, l’employeur prendra des « engagements spécifiques », « notamment pour le maintien de l’emploi ».

Cela n’interdit pas de licencier les salariés, ni pendant la mise en œuvre de l’ARME, ni après.

C’est une forme de chantage à l’emploi mais sans garantie réelle pour les salariés concernés. On se demande également quel est le réel engagement de l’employeur, fait-il vraiment une concession, quand la loi prévoit que le dispositif est ouvert aux entreprises dont la pérennité n’est pas menacée ? Pour en bénéficier, l’employeur n’a pas à démontrer que l’emploi des salariés placés en ARME était réellement menacé. Ce point-là ne serait d’ailleurs pas contrôlé par les DIRECCTES. L’employeur pourrait donc demander un effort important aux salariés en termes de rémunération lié à la baisse de leur temps de travail, sans réelle contrepartie.

L’ARME a donc pour objet de faire peser sur le salarié la réduction d’activité, alors que la pérennité de l’entreprise n’est pas menacée.

L’ARME peut être mise en œuvre jusqu’au 30 juin 2022. Mais la durée d’application de la mesure peut visiblement s’étendre au-delà de cette date, puisque l’accord ou le document unilatéral devra définir sa durée d’application.

En conclusion :

Comme pour les APC, l’ARME a pour objet de faire peser sur le salarié la réduction d’activité, alors que la pérennité de l’entreprise n’est pas menacée. A la différence des APC, l’Etat finance en partie cette baisse d’activité.
Ces deux accords sont donc une instrumentalisation du « dialogue social » pour faire du chantage à l’emploi.

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