Le 18 juin dernier, le gouvernement a présenté son projet de réforme de l’assurance chômage.
Dans les jours qui ont suivi, les ministres concernés ont tenté de défendre cette réforme incontestablement régressive pour les droits des demandeurs d’emploi. Muriel Pénicaud, la ministre du travail, a été interrogée par les médias et a présenté des arguments parfois contestables… et parfois carrément faux !
Décryptage
1ère affirmation : 250 000 personnes ne seront plus indemnisées : FAUX CE SERA BEAUCOUP PLUS…
En effet, les nouvelles règles d’ouverture des droits vont exclure environ 500 000 personnes de l’indemnisation. Mais le nombre de perdants est bien plus grand ! Les nouvelles règles de calcul vont également réduire les indemnités des travailleurs précaires dès le 1er jour ou d’un autre côté celles des cadres à partir de 7 mois d’inscription à Pôle emploi.
En réalité, l’Unédic considère que le nombre de perdants serait d’au moins 1 200 000 personnes, même si nous ne disposons pas encore de chiffres précis. La ministre conteste ces chiffres en prétendant que les comportements allaient changer, mais ce qu’il faut modifier ce sont les comportements des employeurs, ceux qui décident des types de contrat. Or le minuscule bonus-malus sur les cotisations patronales, censé influer sur les embauches en contrats courts, est non seulement ultra limité à quelques secteurs, aux entreprises de plus de 11 salariés, mais il ne s’appliquera qu’en 2021, alors que les baisses de droits sont applicables dès le 1er novembre 2019.
2ème affirmation : la règle des 4 mois travaillés sur les 28 derniers mois a été instaurée en 2008 pour faire face à la crise : FAUX
Le gouvernement a annoncé le durcissement des règles d’ouverture des droits : on passerait de 4 mois travaillés sur les 28 derniers mois (soit 1 jour sur 7) à 6 mois sur 24 (soit 1 jour sur 4). L’argument gouvernemental ? Le plafond aurait été abaissé à 4 mois pour faire face aux conséquences de la crise financière de l’époque. L’argument est que l’on peut revenir en arrière, car la crise est passée…
En réalité, en 2008, les signataires avaient décidé d’assouplir les conditions d’accès au chômage pour venir en aide aux chômeurs de moins de 25 ans. Cette mesure visait à lutter contre le chômage des jeunes qui reste encore trop important aujourd’hui. Il s’élevait en effet à 22,3 % (hors étudiants) en 2016 selon la DARES. Les principaux perdants de cette mesure seront donc à nouveau les jeunes, notamment les moins qualifiés. Car entre temps la précarité des jeunes n’a fait que s’aggraver.
3ème affirmation : la précarité coûte cher à l’assurance chômage : VRAI MAIS ENFONCER LES PRÉCAIRES, PAS RESPONSABLES DE LEUR SITUATION, COÛTE ENCORE PLUS CHER SOCIALEMENT
En 2016 plus de 13 milliards d’euros étaient consacrés aux contrats à durée déterminée (intérim, CDD, intermittents), dont 3 milliards rien que pour les contrats de moins d’un mois (CDD et intérim). Ces contrats précaires sont en augmentation constante et ils sont de plus en plus courts : en 20 ans, les missions d’intérim ont augmenté de 25 %, les CDD de moins d’un mois ont été multipliés par 2,5 et 30 % d’entre eux ne durent qu’un jour.
Depuis le début du quinquennat Macron, le gouvernement n’a eu de cesse d’encourager la précarité (assouplissement des conditions de recours aux contrats courts, pas ou peu de contrôle des entreprises lié à la réduction des effectifs de l’inspection du travail, etc). Aujourd’hui, plutôt que de lutter contre la précarité qu’il a organisée, le gouvernement crée des mesures de façade et s’attaque encore aux travailleurs précaires. Ces travailleurs vont être exclus de l’assurance chômage en raison du passage à 6 mois pour l’ouverture des droits, de la quasi-suppression des droits rechargeables, du calcul de l’indemnité en fonction du salaire mensuel et non plus journalier…
Par ailleurs, le bonus-malus ne permettra pas de lutter réellement contre le recours aux contrats courts : le dispositif ne concerne que 7 secteurs d’activité (sur plus de 30) et seulement les entreprises de plus de 11 salariés (ce qui exclut un grand nombre d’entreprises de la restauration-hôtellerie, secteur qui recourt le plus à ce type de contrats). Enfin, le malus est trop bas pour être dissuasif et servira à financer le bonus attribué aux grosses entreprises.
4ème affirmation : 1 chômeur sur 5 gagne plus au chômage qu’en emploi : FAUX
Cette affirmation relève d’une manipulation des chiffres. Le mode de calcul des allocations est différent, selon que les salariés sont embauchés sur des contrats à temps partiel ou sur une succession de contrats courts.
En effet, un salarié travaillant à mi-temps au SMIC horaire bénéficie du même salaire mensuel qu’un salarié travaillant à temps plein 15 jours par mois. Pourtant, leur salaire journalier est différent : celui du salarié à temps partiel est deux fois plus élevé que celui du salarié en contrats courts. Les deux allocataires bénéficient du même « capital » de droits à leur entrée au chômage, mais les sommes sont versées différemment. Leur allocation journalière correspond à environ 65 % de leur ancien salaire journalier, soit 16 euros bruts pour l’allocataire à mi-temps et 32 euros bruts pour celui à plein temps qui a travaillé 15 jours sur le mois.
- L’allocataire en contrat long à temps partiel recevra 489 euros bruts par mois pendant une durée donnée
- L’allocataire en contrat court à temps plein recevra une allocation deux fois plus élevée (973 euros bruts) mais versée deux fois moins longtemps.
Leur capital de droit est identique, il est juste versé différemment. Ce mode de calcul vise à protéger les salariés à temps partiel, dont l’indemnité chômage serait extrêmement basse si elle était calculée sur une base mensuelle. Le gouvernement, plutôt que de réévaluer l’allocation des salariés à temps partiel (qui sont à 83 % des femmes, en temps partiel subi) procède à un nivellement par le bas.
5ème affirmation : il y a 37 millions d’offres d’emploi par an : FAUX
En juin dernier, Muriel Pénicaud affirmait que l’on peut trouver sur le site de Pôle emploi 688 000 offres d’emploi et qu’il y a 37 millions d’offres d’emploi par an.
La 1ère affirmation est partiellement vraie : sur le site de Pôle emploi, on peut effectivement trouver un peu moins de 700 000 offres d’emploi. Mais, il faut rappeler ce que la CGT a démontré il y a quelques années : 1 offre d’emploi sur 2 est illégale (elles ne respectent pas les règles en matière de temps de travail, de rémunération, ou sont discriminatoires, etc). De plus, une grande partie d’entre elles concerne des emplois précaires (88 % des embauches se font en CDD, dont un tiers d’entre elles pour moins d’un jour).
Quant aux 37 millions d’offres d’emploi, c’est faux. Depuis 2016, le nombre total d’offres d’emploi publiées par an a oscillé entre 7,4 et 7,5 millions. On est très loin du compte !
6ème affirmation : les cadres restent volontairement au chômage pour toucher 2 ans d’allocations : DE L’ENFUMAGE PUR !
La ministre compare la durée d’indemnisation des cadres, proche de 2 ans, à celle des bas salaires, en moyenne à 9 mois. Or les bas salaires sont souvent des précaires qui ouvrent des droits pour des durées courtes, à partir de 4 mois. Donc elle compare des personnes qui ouvrent des droits après des CDD, de l’intérim, à des cadres qui se retrouvent au chômage après des CDI, suite à des licenciements ou des ruptures conventionnelles.
Au passage, elle ne donne pas les durées au chômage (indemnisé ou pas) et le temps qu’il faut pour retrouver un emploi stable, ni pour les travailleurs précaires, ni pour les cadres. C’est donc une stratégie pour imposer la dégressivité d’abord pour les cadres (au-delà de 4500 euros bruts mensuels, perte de 30 % au début du 7e mois) … puis pour les autres ?
7ème affirmation : des moyens supplémentaires pour Pôle emploi : OUI MAIS… DES EMBAUCHES EN CDD POUR CONTRÔLER D’AUTRES PRÉCAIRES
La ministre avait promis d’augmenter les moyens de Pôle Emploi: en réalité, ce sont 1000 emplois précaires, soit 1000 CDD de 3 ans. La direction a même dû annoncer aux syndicats de Pôle Emploi qu’elle devait rouvrir la négociation de l’accord collectif interne qui prévoit une limite au nombre de CDD embauchés. Pôle Emploi va donc utiliser des précaires pour contrôler et sanctionner d’autres précaires ! De plus le recours aux opérateurs privés va être accru.
Enfin, en réponse à une question de la CGT lors des annonces du 18 juin, la ministre avait annoncé une réunion sur les moyens de Pôle Emploi dans la semaine suivante, qui n’a jamais eu lieu. À la place, nouvelle décision unilatérale du gouvernement : une ponction de 11% au lieu de 10 de la collecte de l’assurance chômage pour financer Pôle Emploi. L’Etat retire sa part de financement et fait payer aux travailleurs une part plus grande du service public, tout en durcissant les conditions d’accès au droit.