Dès la fin du mois de mars dernier, le gouvernement a agi pour essayer de limiter les conséquences du virus COVID-19 sur l’activité en ayant recours au dispositif d’activité partielle. Plusieurs pistes ont été explorées :
- Elargir les conditions d’accès au dispositif d’activité partielle dit « de droit commun »
- Créer un dispositif d’activité partielle dit « spécifique »
Depuis mars, les textes de loi se sont succédé. Ils ont modifié le dispositif de « droit commun » des dizaines de fois et ont créé, récemment, le dispositif « spécifique ». Panorama des évolutions législatives depuis fin mars :
- loi d’urgence du 23 mars 2020 habilitant le gouvernement à élargir l’accès à l’activité partielle par ordonnances
- décret du 25 mars 2020 : ce décret a largement modifié les règles applicables en matière d’activité partielle, qu’il s’agisse de la procédure suivie par l’employeur ou du montant de l’allocation employeur
- ordonnance du 27 mars 2020 apportant des précisions concernant la mise en œuvre de l’activité partielle dans le cadre des régimes d’équivalence, temps partiel, forfait jours, etc.
- arrêté du 31 mars 2020 augmentant le contingent d’heures indemnisables par salariés
- ordonnance du 15 avril 2020 : précisions concernant l’indemnisation des apprentis et stagiaires de la formation professionnelle, des cadres dirigeants, salariés portés et concernant le bénéfice de de l’allocation complémentaire pour les salariés des entreprises de travail temporaire
- décret du 16 avril 2020 (modifié par un décret du 5 mai 2020) : précisions sur les modalités de calcul de l’indemnité en cas de de forfait heures ou forfait jours + précisions des modalités de calcul pour certaines catégories de travailleurs
- ordonnance du 22 avril 2020 concernant l’indemnisation d’activité partielle des salariés des particuliers employeurs, les assistantes maternelles, les salariés d’employeurs publics + précisions concernant l’indemnisation des heures supplémentaires + création de l’activité partielle individuelle
- loi du 25 avril 2020 : ouverture de l’activité partielle aux salariés dans l’impossibilité de travailler car considérés comme des “personnes vulnérables”, ou partageant le foyer d’une personne vulnérable
- 2 décrets du 05 mai 2020 : fixation de 11 critères permettant d’identifier les salariés vulnérables et pouvant être placés en activité partielle + passage du régime des IJSS à l’activité partielle pour les salariés vulnérables
- la loi du 17 juin 2020 a apporté les dernières modifications au dispositif d’activité partielle
Le dispositif d’activité partielle de droit commun
L’activité partielle (anciennement appelée chômage partiel ou chômage technique) est un dispositif ancien. Cependant, on en a beaucoup parlé dernièrement car le gouvernement l’a utilisé comme « outil » permettant de limiter les conséquences financières du confinement, pour les entreprises et les salariés.
Depuis le 1er mars, ce dispositif a connu de multiples changements : notamment un élargissement puis une restriction des conditions de recours. Les règles ci-dessous sont celles applicables suite à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2020, dernière loi ayant modifié les règles en la matière.
Quand est-ce qu’une entreprise peut bénéficier de l’activité partielle « de droit commun » ?
Un employeur peut placer ses salariés en activité partielle lorsque l’entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour l’un des motifs suivants :
- Conjoncture économique,
- Difficultés d’approvisionnement en matière première ou en énergie,
- Sinistre ou intempérie exceptionnel,
- Transformation, restructuration, modernisation de l’entreprise
- Toute circonstance de caractère exceptionnel.
C’est pour ce dernier motif que les entreprises ont fait des demandes d’activité partielle dans le cadre de la crise, car les démarches ont été simplifiées pour la mise en activité partielle sur ce fondement.
Quelle procédure les entreprises doivent respecter pour bénéficier de l’activité partielle ?
L’entreprise doit faire une demande auprès de la Direccte. La procédure a été simplifiée dans le cadre de la crise sanitaire :
- La demande de placement en activité partielle peut être faite dans les 30 jours suivants le ralentissement de l’activité partielle. C’est-à-dire que l’entreprise peut placer ses salariés en activité partielle avant d’avoir l’accord de la Direccte, ce qui n’était pas le cas avant.
- L’administration a 2 jours pour répondre, contre 15 jours auparavant.
- Diminution du rôle du CSE : alors que la consultation devait se faire en amont du placement en activité partielle, elle peut désormais se faire dans les 2 mois qui suivent la demande à la Direccte. L’obligation de consulter le CSE en amont du dépôt de la demande auprès de l’administration, a été rétablie à compter du 29 juin dans les entreprises d’au moins 50 salariés. La consultation porte sur les sujets suivants : motifs de recours à l’activité partielle, catégories professionnelles et activités concernées, modalités de mise en œuvre de ma réduction d’horaire, actions de formation envisagées ou tout autre engagement pris par l’employeur.
Pendant combien de temps l’entreprise peut-elle prétendre au bénéfice de l’activité partielle ?
La durée a été allongée dans le cadre de la crise. L’autorisation de placement en activité partielle vaut pour 12 mois, contre 6 auparavant. C’est donc un dispositif ponctuel.
Quelles conséquences pour les salariés ?
Le passage en activité partielle peut prendre deux formes au niveau de l’entreprise :
- Réduction collective du temps de travail, donc maintien d’une activité mais réduite (activité partielle partielle).
- Fermeture de tout ou partie de l’établissement, donc inactivité des salariés (activité partielle totale).
Quelle indemnisation des salariés ? Quelle aide pour les entreprises ?
Pour les salariés :
Sauf accord plus favorable, la rémunération est maintenue à hauteur de 84% du net (70% du brut) pour les heures non travaillées. Cela n’a pas été modifié dans le cadre de la crise, et cela n’a pas baissé au 1er juin.
Pour les entreprises :
Dans le cadre de la crise, l’allocation versée aux entreprises (par l’Etat et l’UNEDIC) a été augmentée pour devenir proportionnelle aux salaires maintenus. Les entreprises étaient donc remboursées en totalité des indemnités qu’elles versaient aux salariés donc 70% du brut, dans la limite d’une rémunération de 4,5 SMIC et avec un minima de 8,03 euros par heure (le SMIC horaire).
Depuis le 1er juin, l’allocation versée aux entreprises diminue : elle passe de 100% à 85% de l’indemnité versée aux salariés (donc 60% du salaire brut contre 70% précédemment). Dans certains secteurs faisant l’objet de restrictions législatives ou réglementaires (tourisme, restauration, culture …) la prise en charge est maintenue à 100%.
Le dispositif spécifique d’activité partielle (DSAP)
Ce dispositif a été renommé à plusieurs reprises : initialement surnommé « ARME » (activité réduite pour le maintien dans l’emploi), il est devenu l’ « APLD » (activité partielle de longue durée) pour finalement être appelé « DSAP » (dispositif spécifique d’activité partielle). Ce dispositif part du même principe que l’activité partielle de droit commun : l’employeur reçoit une aide de l’Etat lui permettant de « maintenir l’emploi », les horaires de travail des salariés sont réduits et leur salaire est en partie maintenu. Seule différence : une entreprise peut avoir recours au DSAP dans n’importe quel contexte et peut adapter le dispositif via un accord collectif ou un document unilatéral. Par ailleurs, l’employeur est censé prendre des engagements en matière d’emploi et de formation professionnelle, qui sont en réalité plutôt illusoires.
Ce dispositif est entré en vigueur au 1er juillet dernier et s’appliquera aux accords collectifs et documents unilatéraux transmis à l’autorité administrative au plus tard le 30 juin 2022.
Quel contexte économique ouvre la possibilité, pour une entreprise, de bénéficier du DSAP ?
Selon la loi du 17 juin, le dispositif concerne les entreprises confrontées à une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité. Le décret qui a suivi présente le DSAP comme un dispositif à destination des employeurs « faisant face à une baisse durable d’activité ». Cela dit, en pratique, il n’existe aucune restriction d’accès au DSAP liée à de potentielles difficultés économiques. Une entreprise peut donc avoir recours au DSAP dans n’importe quel contexte, à condition qu’un accord collectif traitant du sujet ait été négocié.
En pratique, rien n’interdit à une entreprise qui fait face à des difficultés économiques de solliciter le bénéfice de l’APLD. Par ailleurs, la notion de baisse durable d’activité est très large.
En quoi consiste l’accord collectif instituant le DSAP ?
1) Il s’agit d’un accord d’établissement, d’entreprise ou de groupe, traitant des questions suivantes :
- contenu obligatoire : diagnostic sur la situation économique et les perspectives d’activité, activités et salariés concernés, période d’application, engagements en termes d’emploi et de formation, modalités d’information des OS signataires de l’accord et des IRP
- contenu facultatif : les efforts des dirigeants et actionnaires, la mobilisation du CPF et des congés payés, les moyens de suivi de l’accord accordés aux organisations syndicales
2) Il existe un accord de branche (éventuellement étendu), qui est décliné par un document unilatéral, au niveau de l’établissement, l’entreprise ou la branche.
- contenu obligatoire : modalités d’information des OS et IRP
- contenu facultatif : les efforts des dirigeants et actionnaires, la mobilisation du CPF et des congés payés, les moyens de suivi de l’accord accordés aux organisations syndicales
- contenu du document unilatéral qui doit d’une part décliner les dispositions de l’accord de branche et d’autre part prévoir certains points : prévoir les activités et salariés concernés, la période d’application, les engagements en termes d’emploi et de formation, et adapter les modalités d’information des OS signataires de l’accord et des IRP, qui ont été prévues par l’accord de branche (le texte du décret n’est pas très clair sur ce point, on ne sait pas si ce sont les OS de l’entreprise qui doivent être informées ou celles de la branche)
Dans ces deux cas, l’employeur doit adresser au préfet du département où est implanté l’établissement concerné par l’accord, soit la demande de validation de l’accord d’entreprise, soit la demande d’homologation du document unilatéral. Une fois que la décision d’homologation ou de validation lui a été notifiée, il doit informer le CSE.
Comme pour les accords de performance collective (APC), les efforts proportionnels des dirigeants et des actionnaires ne sont que des clauses facultatives des accords.
Pour combien de temps une entreprise peut-elle bénéficier du dispositif de DSAP ?
L’allocation est accordée pour 6 mois renouvelables, dans la limite de 24 mois, consécutifs ou non, sur une période de référence de 36 mois consécutifs. Lorsque les accords collectifs sont conclus pour une durée supérieure à 6 mois, l’autorité administrative doit donner son autorisation tous les 6 mois pour que l’allocation continue d’être versée. Pour prendre sa décision, elle se base sur le bilan transmis par l’entreprise, sur le PV de la réunion d’information du CSE et du diagnostic actualisé sur la situation économique de l’établissement, de l’entreprise ou du groupe.
Est-ce que l’employeur doit respecter certains engagements dans le cadre de ces accords, notamment en termes de « maintien » de l’emploi ?
L’employeur doit transmettre à l’autorité administrative (le préfet) un bilan portant sur ses engagements en matière d’emploi et de formation professionnelle, tous les 6 mois. Sauf que… il n’existe pas de réelle obligation légale concernant ces engagements ! En théorie, ils doivent concerner l’établissement ou l’entreprise, sauf qu’un accord peut prévoir un champ plus restreint, par exemple se limiter à un service ou même quelques salariés…
Rien n’empêche l’employeur de procéder à des licenciements et de ne pas respecter ses engagements en termes d’emploi et de formation : il devra rembourser à l’Etat les sommes versées mais le licenciement sera considéré comme « justifié » par les juges.
Les engagements de l’employeur sont contrôlés par l’autorité administrative et peuvent être sanctionnés, ce qui est une bonne chose. Le problème c’est que l’employeur peut s’exonérer de ces sanctions beaucoup trop facilement. Par exemple, si le remboursement des sommes perçues est « incompatible avec la situation économique et financière de l’établissement, l’entreprise ou le groupe »…
Ce n’est qu’en présence d’un document unilatéral que la loi précise expressément que l’administration doit vérifier la présence d’engagements en matière d’emploi. La DIRECCTE ne regarde que la présence de ces engagements et ne contrôle pas leur contenu, notamment au regard de la situation de l’entreprise.
La CGT entend mettre la pression sur les engagements pris par l’employeur en termes de maintien d’emplois. Leur périmètre doit être le plus large possible (concerner tous les salariés de l’entreprise), et il doit être précis. On voit en effet apparaître des accords qui ne prévoient que l’absence de PSE pendant la mise en œuvre de l’APLD alors qu’il existe beaucoup d’autres moyens pour supprimer des emplois (RCC, APC…). Rien n’interdit la superposition de ces dispositifs, ce que conteste la CGT.
Quels sont les salariés concernés par le DSAP ? Quels impacts sur leur salaire et sur leur travail ?
Les salariés concernés sont visés par l’accord d’entreprise ou le document unilatéral. Il n’y a pas vraiment de limites légales concernant le choix des salariés, ce qui est la porte ouverte à des discriminations et sanctions déguisées.
Ces salariés pourront subir une réduction de leur horaire de travail : cette réduction ne peut être supérieure à 40 % de la durée légale (cela correspond à une réduction de 14h max pour une durée légale du travail de 35h). La réduction s’apprécie salarié par salarié sur une durée de 24 mois à compter de l’entrée en vigueur de l’accord. La limite de 40 % peut être dépassée dans des cas exceptionnels liés à la situation de l’entreprise, sur décision de l’autorité administrative, tout en ne pouvant excéder 50 % de réduction de la durée légale.
Pour les heures chômées, les salariés percevront une indemnité d’activité partielle correspondant à 70 % de la rémunération brute servant d’assiette de l’indemnité de congés payés ramenée à un montant horaire sur la base de la durée légale du travail (35h) ou, lorsqu’elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat de travail. Les heures travaillées doivent être payées à 100 %.
Le dispositif d’activité partielle « de droit commun », tel que modifié pendant la crise sanitaire, créait un plafond pour l’indemnité (4,5 fois le taux horaire du SMIC) et un plancher (le SMIC). Dans le cadre du DSAP, le plafond est maintenu mais le plancher a disparu, ce qui laisse penser que des salariés pourraient percevoir des rémunérations horaires inférieures au niveau du SMIC.
De quelles aides l’employeur bénéficie ?
Le taux de l’allocation versée à l’employeur dans le cadre de l’APLD est le suivant :
- 60% de la rémunération horaire brute, limitée à 4,5 fois le taux horaire du SMIC, pour les accords transmis avant le 1er octobre 2020
- 56% de la rémunération horaire brute, pour les accords transmis à l’autorité administrative à compter du 1er octobre 2020.
Ce taux horaire ne peut être inférieur à 7,23 euros (sauf pour les salariés en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation).
Quelles prérogatives sont accordées aux organisations syndicales et aux institutions représentatives du personnel ?
Malheureusement, pas beaucoup…
Si le DSAP est mis en place par le biais d’un accord d’entreprise, d’établissement ou de groupe, les organisations syndicales représentatives sont censées pouvoir prendre part à la négociation. Cela dit, l’employeur peut toujours les contourner au moyen d’un référendum d’entreprise…
Si le DSAP est mis en place par un document unilatéral, au niveau de l’entreprise, le CSE doit au moins être informé et consulté en amont.
Une fois le DSAP mis en place, là encore, les OS et IRP sont laissés de côté : seules les OS ayant signé l’accord ont un droit de regard sur son application tandis que les IRP ne sont consultées que tous les 3 mois.
Enfin les moyens attribués aux OS pour leur permettre de suivre l’application de l’accord ne sont que facultatifs.
Est-ce que les salariés peuvent refuser ?
La loi et le décret n’abordent pas réellement ce point, cela dit il semblerait que les salariés ne puissent pas refuser que le DSAP leur soit imposé.
Est-ce qu’une entreprise peut bénéficier à la fois de l’activité partielle de droit commun ET de l’activité partielle spécifique ?
Le dispositif d’APLD ne peut être cumulé avec l’activité partielle « classique » pour un même salarié, sur la même période. Cependant, une entreprise bénéficiant du DSAP peut demander à bénéficier de l’activité partielle « de droit commun » concomitamment dans les cas suivants :
- difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie
- sinistre ou intempéries de caractère exceptionnel
- transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise
- toute autre circonstance de caractère exceptionnel.