Il y a 75 ans : Assassinat du groupe Manouchian par la police française et la Gestapo (l’affiche rouge)

Au mois d’août 2018, disparaissait Arsène Tchakarian, dernier survivant du groupe Manouchian. Il était l’ultime survivant de ce groupe de patriotes qui étaient regroupés sous la bannière FTP-MOI (francs tireurs et partisans – main d’œuvre immigrée de Paris) et qui luttèrent contre l’occupation allemande jusqu’au péril de leur vie.

La famille d’Arsène Tchakarian, arménienne, s’était exilée en Bulgarie pour fuir le génocide de son peuple avant d’arriver en France en 1930. Arsène était devenu tailleur avant d’intégrer le groupe Manouchian en 1942.

Afin d’honorer sa mémoire et celle de ses camarades, il faut rappeler le rôle primordial de la résistance communiste contre l’occupation nazie en France. Les FTP-MOI étaient issus de la main-d’œuvre immigrée (MOI), une structure mise en place par le Parti Communiste français dans les années 1920 pour encadrer les très nombreux étrangers travaillant en France.

Dès que le Parti Communiste français s’engagea massivement dans la lutte armée en août 1941 contre l’occupation allemande, les étrangers de la MOI prirent une place importante dans ce combat. En 1942 et 1943, les FTP-MOI multiplièrent les attentats contre les Allemands, leur fait d’arme le plus important étant l’action qui coûtera la vie au général Julius Ritter le 28 septembre 1943.  Au cours de cette même année, l’enquête des brigades spéciales de police s’intensifia et procéda à la quasi arrestation de tous les membres du groupe de résistance Manouchian au mois d’octobre 1943.

Le 15 février 1944 débuta leur procès à l’issue duquel ils furent condamnés à mort et fusillés le 21 février 1944 au mont Valérien (23 résistants FTP-MOI furent fusillés).

Après ce drame, les Allemands affichèrent dans une grande partie de la France, l’affiche rouge où par des messages xénophobes, antisémites et anticommunistes, ils cherchaient à discréditer le sacrifice suprême des FTP-MOI pour la libération de la France.

Aujourd’hui, au moment où notre République peut vaciller parfois sur ses fondements et son message universaliste, il est important de se souvenir du sacrifice suprême de ces combattants étrangers. La France n’était pas leur patrie d’origine mais ils aimaient ce pays et la liberté passionnément. Leur message est universel et participe à la grandeur de l’histoire de notre pays.

Sur ce sujet, on peut lire le roman historique de Didier Daeninckx, MISSAK. paru en 2009 aux Editions Perrin et réédité depuis chez Pocket et Folio. Voici ce qu’en disait le 29/10/2009, Jean-Luc Douin dans un article paru dans le Monde des Lettres :

Didier Daeninckx consacre un roman au poète Missak Manouchian, qui commanda le réseau de résistants émigrés dénoncés sur l’Affiche rouge, en février 1944. Il y retrace le parcours du militant communiste, à l’occasion de l’inauguration d’une rue en son honneur, en 1955.

« C’est le poème qu’écrivit Louis Aragon qui a nourri ma démarche. « Onze ans déjà que cela passe vite onze ans ». Ce que j’avais pris alors pour de la nostalgie m’apparaissait soudain comme du regret. Que de temps perdu pour rendre hommage à Manouchian : voilà ce qu’il voulait dire ! 1955, c’est juste après la mort de Staline et juste avant la révélation de ses crimes. Le rideau commence à se déchirer. » Autre détonateur du livre, cette phrase tirée d’une lettre envoyée par Manouchian avant de mourir : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal… sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. »

« Une phrase lourde de sens, gommée par le Parti communiste jusque dans les années 1980, commente Didier Daeninckx. Après enquête, je suis persuadé que Manouchian vise Joseph Davidovitch, responsable politique des détachements au FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’oeuvre immigrée), qui a parlé, livré des noms lorsque la police a menacé de torturer sa femme. Et « ceux qui nous ont vendus », ce sont les journalistes et le régime de Vichy. En censurant cette phrase durant quarante ans, le PC a créé un soupçon qui n’avait pas lieu d’être. Depuis, les archives policières ont été ouvertes et les historiens ont invalidé la théorie selon laquelle la direction du PC avait trahi. »

Et voici le célèbre poème de Louis Aragon, mis en musique et interprété par Léo Ferré :

L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Louis Aragon.

Cliquez ici pour lire la dernière lettre de Missak Manouchian…

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