Collaborateur : l’être ou ne pas l’être ?

Le mot « collaborateur » a remplacé celui de « travailleur » pour gommer toute référence aux intérêts divergents des classes sociales.

Issu du latin, le mot « collaborateur » (collaborator, de collaborare) nous plonge dans un monde où on travaille ensemble à un même ouvrage, où valeurs et intérêts semblent partagés dans une belle réciprocité. Exit le « travailleur-travailleuse » et autre « salarié-salariée ». Après les cadres, ce sont la maîtrise puis les employé-e-s et, maintenant, les ouvrier-e-s qui accèdent au prestigieux statut de « collaborateur-collaboratrice » de leur employeur. Par la magie des mots, voilà travailleur et patron sur un pied d’égalité… ou presque.

Mais il arrive que le carrosse devienne citrouille : « Le premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi. » Et le susdit collaborateur de se vexer. Ah tiens, être un collaborateur, même du chef de l’État, ne serait donc pas si flatteur ?

Au fait… nous n’avons jamais entendu un travailleur dire de son employeur : « mon collaborateur ». Pas plus qu’un employeur ne désigne des salarié-e-s en grève comme ses « collaborateurs ». Avez-vous connaissance d’employeurs en grève pour défendre l’intérêt de leurs « collaborateurs » ?

Une pensée, bien regrettable, nous vient : le discours du libéralisme ne viserait-il pas à leurrer les travailleur-se-s ? Substituer le mot « collaborateur » à celui de « travailleur, ne serait-ce pas gommer toute référence aux intérêts divergents entre classes sociales ?

Plongé dans l’abîme du doute, on voit surgir LA question : peut-on être à la fois collaborateur et subordonné ? Mais chassons ces pensées négatives, restons coool ! Pourquoi se prendre la tête ? Le patron est sympa, il nous invite à le tutoyer, et même à « tomber la cravate » le vendredi. Libérons-nous d’un passé archaïque. Laissons-nous éblouir par les promesses d’un langage nouveau. Entrons dans la modernité, sous l’aiguillons de la compétitivité ! Dehors, le travailleur salarié égoïstement accroché à des privilèges surannés ! Montrons notre dévouement au service de cla noble cause commune : la satisfaction du client, le bonheur de l’actionnaire.

Partageons la fierté de l’employeur. Si on allait jusqu’au bout de cette « collaboration » sur un pied d’égalité ? Si on partageait tout ? Si on partageait le pouvoir, si on partageait les richesses ? On verrait bien si le patronat ne reviendrait pas aux « archaïsmes » de classe…

Article paru dans la tribune « Le bal des mots dits » de la NVO, mai 2017.

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